Harcèlement, RPS : l’enquête interne

Dernière modification : 4 avril 2022
Temps de lecture estimé : 5 min

L’employeur a une obligation de prévention des risques et de protection de la santé physique et psychique des salariés. A ce titre, il doit mener des actions de prévention contre le harcèlement moral et sexuel et agir vite lorsque des faits pouvant relever du harcèlement lui sont rapportés. Il peut ainsi recourir à une enquête pour faire la lumière sur les faits et ainsi prendre des mesures pour les faire cesser.

A quoi sert une enquête ?

L’enquête interne diligentée en cas de suspicion de harcèlement moral ou sexuel doit permettre d’emporter la conviction de l’employeur sur les faits reprochés et ainsi de prendre des mesures adaptées. Il doit aussi permettre d’emporter la conviction du juge si les sanctions prises suites à ses conclusions venaient à être remises en cause devant les Prud’hommes.

L’enquête devra donc aboutir à une conclusion suffisamment étayée pour emporter la conviction.

Dans quels cas une enquête doit-elle être déclenchée ?

Situations dans laquelle le déclenchement de l’enquête est inévitable

L’employeur doit déclencher immédiatement une enquête lorsque :

  • celle-ci est demandée par le CSE dans le cadre de leur droit d’alerte ou par l’inspecteur du travail suite à des plaintes de salariés,
  • une charte interne à l’entreprise définit les conditions de déclenchement de l’enquête et que ces conditions sont réunies,
  • les faits portés à la connaissance de l’employeur sont assez précis et susceptibles de constituer un harcèlement,
  • une alerte a été portée par un salarié en termes explicites sur des faits qui ne relèvent pas apriori de harcèlement mais d’une atteinte au droit de la personne (injure, discrimination, agissement sexiste, dégradation des conditions de travail, surcharge de travail, …).

Situations dans laquelle le déclenchement de l’enquête n’est pas automatique

L’employeur n’est pas obligé de déclencher une enquête quand :

  • le signalement a été formulé par un salarié en des termes très généraux (situation générale de harcèlement dans l’entreprise, discrimination mais sans fait précis, …) : l’employeur doit alors demander par écrit des précisions.
  • l’alerte est anonyme et contient des faits assez précis : l’employeur peut mener une enquête informelle en allant discuter avec les personnes visées par l’enquête. Il garde une trace écrite.

Même si l’employeur n’est pas tenu d’ouvrir une enquête suite à ces types d’alerte, sa responsabilité pourra être engagée par la suite en cas d’absence de réaction de sa part si l’alerte était fondée.

Tous les signalements, même s’ils ne déclenchent pas l’ouverture d’une enquête, ainsi que tous les signaux faibles de mal-être observés chez les salariés doivent être renseignés dans un outil de suivi.

Qui est en charge de l’enquête ?

Le chef d’établissement, qui a reçu délégation de l’Ogec en matière sociale, peut mener l’enquête seul ou être accompagné de cadres (DRH, …) ou de membres du CSE. En pratique, il est plus que souhaitable qu’elle soit menée par au moins deux personnes.

La participation d’un membre du CSE s’impose lorsque la demande d’enquête émane de cet organe. Cependant, l’employeur peut refuser la participation du CSE s’il peut justifier ce refus : demande d’anonymat de la victime, faits impliquant des représentants du personnel, … En revanche, le CSE doit être destinataire du rapport d’enquête lorsque c’est lui qui a demandé sa réalisation.

Tout CSE, quelque soit l’effectif de l’entreprise, doit désigner en son sein un référent en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes. Cela pourra être ce salarié qui participe à l’enquête.

Il est également possible de confier cette enquête à un tiers (avec l’accord du CSE s’il est à l’origine de l’enquête). Cette option est fortement recommandée dans les établissements de petite et moyenne taille car elle permet aux personnes auditionnées d’avoir une parole libre, et évite tout conflit d’intérêt ou partialité chez les auditeurs.

La Branche de l’EPNL peut mandater et financer un cabinet spécialisé pour réaliser un diagnostic et conseiller des mesures à prendre en cas de signes de mal-être chez les salariés ou d’accusation de harcèlement : contactez Aude Durand (a-durand@cepnl.org) et Jean-René Le Meur (jr-lemeur@cepnl.org).

Comment protéger le salarié pendant l’enquête ?

En attendant de faire la lumière sur les faits dénoncés, l’employeur doit veiller à protéger la personne présumée victime en prenant des mesures conservatoires. Ainsi, il l’éloigne physiquement de la personne mise en cause en modifiant leurs horaires (décaler la pause repas, …) ou leurs lieux de travail (changement d’établissement, d’étage, de service, …). Il rompt également tout lien hiérarchique ou fonctionnel entre elles afin qu’elles n’entrent plus ou le moins possible en contact.

L’employeur procèdera à cette mise à distance des protagonistes en veillant à protéger la victime et à respecter dans le même temps la présomption de non-responsabilité de l’auteur. Ainsi les mesures conservatoires ne doivent porter préjudice à aucun des deux salariés. Une mise en disponibilité de l’un des deux protagonistes peut être proposée.

Comment se déroule l’enquête ?

Préparer les auditions

  1. Dresser la liste des personnes à auditionner : victime, témoins potentiels, personne mise en cause, supérieur hiérarchique, … Cette liste pourra être affinée au fil de l’enquête. Idéalement la personne mise en cause doit être entendue, mais si elle ne l’est pas cela ne remet pas en cause la validité de l’enquête. En effet le respect du contradictoire n’est pas exigé, contrairement aux procédures judiciaires.
  2. Préparer les questions qui seront posées aux personnes auditionnées. On évitera autant que possible de dévoiler les noms des autres témoins, et on ne donnera jamais l’identité de la personne qui a lancé l’alerte, que ce soit un témoin ou la victime elle-même.
  3. Choisir un lieu calme et neutre pour mener les entretiens. La confidentialité des échanges doit pouvoir être garantie.
  4. Informer les salariés de l’enquête en cours et inviter les personnes que l’on souhaite auditionner. Le salarié n’a aucune obligation d’honorer ce rendez-vous. Communiquer clairement sur le fait que les échanges seront confidentiels.

Mener les auditions

Les auditions sont menées par deux personnes : cela garantit une écoute et une prise de note plus efficaces et évite d’entrer dans une relation personnelle, tout en évitant le côté intimidant que peut avoir une audition menée par trois personnes ou plus.

Les auditeurs conservent une attitude d’écoute bienveillante durant toute la durée de l’entretien. Aucun jugement ou parti-pris ne doit transparaître dans leurs propos ou leur langage non-verbal sous peine d’empêcher la verbalisation des personnes auditionnées. Concrètement :

  • les auditeurs commencent l’entretien en rappelant la confidentialité réciproque (ce qui est dit durant l’entretien n’a pas à être divulgué en dehors) et en indiquant que la parole est libre durant ce moment,
  • ils s’interdisent tout propos disqualifiant la parole tel que « vous êtes sûr ? ça ne ressemble pas à M. Michu… »,
  • ils encouragent la parole,
  • ils montrent qu’ils prennent en compte ce qui est dit, notamment en prenant des notes,
  • ils concluent l’entretien en remerciant la personne d’avoir participé à cette enquête.

Les salariés ne peuvent pas exiger d’être assistés lors de ces auditions.

Une retranscription écrite de l’audition du salarié peut être proposée en début d’entretien. Ce dernier doit être mis en situation de la relire, de demander les modifications nécessaires et de signer ensuite son compte-rendu d’audition. Ce document sera joint au rapport d’enquête. L’enregistrement audio ou vidéo de l’audition est possible, mais nécessite l’accord écrit du salarié.

Si le salarié remet en cause le bien-fondé de son licenciement aux Prud’hommes, l’employeur devra le justifier en produisant le rapport de l’enquête contenant des témoignages non-anonymes.

Rédiger le rapport d’enquête

Le compte-rendu contient :

  • l’historique des alertes et des faits ayant mené à l’ouverture de l’enquête,
  • le résumé des diligences accomplies et des éléments obtenus (éventuellement les pièces remises pendant la procédure par les salariés entendus),
  • la conclusion de l’enquête,
  • les mesures envisagées.

Une réunion de restitution est organisée à destination du CA de l’Ogec et du CSE s’il est à l’origine du déclenchement de l’enquête.

Les conclusions de l’enquête sont communiquées aux présumées victime(s) et harceleur(s), sans que le rapport ne leur soit fourni. Un résumé succinct des conclusions est transmis aux personnes auditées.

Est-il utile de prévoir une procédure d’enquête ?

Lorsqu’aucune enquête n’est en cours, un accord ou une charte pourra être rédigée avec le CSE pour fixer une procédure qui sera suivie en cas de déclenchement d’une enquête.

Cette procédure doit rester assez souple pour s’adapter aux différents cas de figure qui peuvent se présenter.

Etablir une procédure d’enquête a deux avantages majeurs :

  • cela fait partie des mesures de prévention qui montrent que l’employeur met en œuvre son obligation de sécurité,
  • cela permet de mettre en route plus rapidement une enquête lorsqu’une alerte sérieuse est émise. La rapidité d’action de l’employeur est en effet un élément important.

On pourra s’appuyer pour rédiger cette procédure sur un guide pratique et juridique du Ministère du travail détaillant les étapes de la réception du signalement aux suites de l’enquête en passant par la réalisation des entretiens dans les cas de suspicion de harcèlement sexuel (les procédures d’enquête sont semblables en cas de harcèlement moral) :

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